Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article AGRARIAE LEGES

AGRARIAE LEGES. Les lois agraires, qui tiennent une si grande place dans l'histoire de la république romaine, avaient pour objet la division, la colonisation, la limitation ou la reprise de tout ou partie de rager publieus. Ce domaine de l'État était en principe essentiellement imprescriptible et inaliénable sans une autorisation émanée du législateur, c'est-à-dire primitivement du roi, puis du sénat, enfin des comices. Cette proposition, aujourd'hui admise sans contestation dans la science', suffit pour faire justice de l'erreur vulgaire sur la nature et le caractère des lois agraires. Jamais à Rome ces lois n'ont eu pour objet de porter atteinte à la propriété privée ((tger privalus) ; ce n'est qu'à l'époque des proscriptions de Sylla et des triumvirs, que des colonies militaires furent établies dans certaines provinces d'Italie, en vertu d'actes dictatoriaux qui autorisaient la spoliation des véritables propriétaires; mais cet abus de la force est étranger aux véritables leges agrariae [coLoruA] 2. L'AGER PUBLICUS, comme on l'a dit ailleurs, prit naissance en môme temps que Rome elle-même, et s'accrut sans cesse avec ses conquêtes. Une partie en fut consacrée dès l'origine, sous le nom de pascua, à la dépaissance commune, moyennant un droit (vectigal) perçu par tête de bétail envoyé à la pâture 3, et représente parfaitement nos pâtis ou communaux. Le surplus, quand il était limité, c'est-à-dire régulièrement mesuré, fut donné à bail plus ou moins long [AGER VECTIGALIS] ou vendu (ager quaestorius). Quant aux terrains vagues, ou bien ils furent également employés au pâturage, ou s'ils étaient susceptibles de défrichement, concédés en possession indéfinie, mais toujours révocable au gré de l'État, moyennant la dîme des moissons et le cinquième des produits des arbres à fruit, sous le nom d'agri occupatorii, à ceux qui pouvaient les mettre en culture. Ces fonds s'appelaient aussi as'ci finii ou arci/inales, à cause de l'absence de limitation augurale par les AGRIMENSORES. Mais il paraît que dans l'origine le droit d'occuper ainsi rager publicus en vertu de l'édit qui en autorisait la mise en culture, fut, à la différence de la dépaissance communale et de la location de ''ager vectigalis, réservé aux seuls patriciens. Ceux-ci en faisaient sans doute des concessions précaires à leurs clients, mais la clientèle n'embrassait pas toute la plèbe [PLEBS1. Celle-ci était donc réduite : I° à la pleine propriété de deux jugera formant l'nEItEUIUM attribué, disait-on, par Romulus à chaque chef de famille ou de maison, pour 1 otites les décuries dans le premier partage du sol romain (si toutefois on admet l'existence de la propriété individuelle, surtout pour les plébéiens, avant Numa ou Servius Tullius)'; 2° à la faculté d'envoyer ses bestiaux AGR 157 AGR sur les pâturages publics; 3° à celle de prendre à bail les agri vectigales, faculté que l'absence de capital ne permettait guère aux plébéiens d'exercer. Cependant le nombre des plébéiens s'accroissait sans cesse à Rome Il fallait donc pourvoir à la subsistance de cette foule. Ce fut l'objet des premières lois d'assignations ou de divisions de rager publicus, dues aux rois de Rome, et que l'on peut très-exactement, d'après notre définition, ranger parmi les leges agrariae. 1. Des lois agraires sous la royauté. Que des plébéiens aient été admis ou non au premier partage qui constitua rager privatus, toujours est-il que des assignations ou partages postérieurs de rager publicus, transformé pour partie en domaine privé, eurent lieu sous la royauté', précisément à raison du développement de la plèbe, et du privilége réservé aux patriciens et aux clients d'occuper more mojorum les terrains conquis. En effet, le système en vigueur n'eût laissé aux plébéiens d'autres moyens d'existence que les travaux manuels de la ville, fort méprisés clans les préjugés antiques, ou le pillage à la guerre. Si on concède même que chaque famille de la plèbe ait eu les deux jugera de l'heredium , cette étendue de 50 ares 57 centiares eût été à peine suffisante en moyenne à la subsistance annuelle de deux ou trois personnes'. Aussi voiton Numa partager en lots aux citoyens les terres conquises par Romulus': s'agit-il d'une transformation du partage primitif de Romulus et de la substitution de la propriété individuelle à la communauté familiale, ou bien d'un nouveau partage, par familles, des terres conquises demeurées indivises entre les mains de l'État? Nous inclinons à croire9 qu'il s'agit d'un second partage tendant à satisfaire les familles pauvres, au moyen de rager publicus acquis depuis la première assignation. On voit ensuite, suivant l'histoire traditionnelle, Tullus Hostilius distinguer dans rager regius, séparé primitivement de rager privatus et du pascuus publicus, deux parties : l'une considérée comme son patrimoine privé, lui paraît suffisante à l'entretien du roi et du culte; l'autre est partagée entre les citoyens 10, On ne peut guère douter que les plébéiens n'aient été admis aux partages postérieurs attribués par le même historien à Ancus Martius" qui établit la plèbe sur 1'Aventin. Tarquin l'Ancien voulut créer trois tribus nouvelles, afin d'y faire entrer les plébéiens avec des droits égaux à ceux des citoyens des anciennes tribus" ; mais la résistance de celles-ei le força à se borner à une modification de l'état de choses existant ; au moyen des vides opérés par le temps dans les curies primitives, il réduisit leur nombre à neuf par tribu et introduisit de riches familles plébéiennes dans la dixième curie de chaque tribu". Ces nouvelles gentes patriciennes fournirent 150 nouveaux sénateurs, nommés patres minorum gentium14 [5ENATUS]. Mais la masse des plébéiens demeurait en dehors de cette organisation ; c'est sans doute ce qui conduisit Tarquin à fonder la colonie de Collatia", pour attribuer des terres aux plébéiens non compris dans les précédentes divisions de rager publicus. Ceci peut nous expliquer comment or, n'attribue aucun partage à ce roi cependant réputé populaire". Les résistances de la noblesse l'avaient forcé de se contenter d'un palliatif. Servius Tullius, d'origine plébéienne ou étrangère, opéra une réforme plus radicale. Non content de faire une nouvelle division de la ville en quatre tribus locales, et de l'AGEH ROMANUS en vingt-six régions ou tribus, il y comprit indistinctement tous les citoyens, même plébéiens, domiciliés dans leur circonscription17. Bien plus, afin d'asseoir sur une base plus large sa nouvelle institution du cens et des comices par centuries, il fit un partage considérable des terres de rager publicus entre les chefs de famille plébéiens. Chacun d'eux reçut la pleine propriété d'un lot, non de deux, mais de sept jugera; ce fut désormais la règle dans les plebeiae assignationes i'. Il n'est pas douteux que dès cette époque au moins la propriété individuelle ne fût légalement substituée à l'ancienne propriété de la gens patricienne, et accessible aux plébéiens comme aux clients. Ainsi une partie considérable de l'ager publicus fut alors transformée en ager privatus et soustraite aux usurpations des patriciens ", ou à leur occupation exclusive. En effet, suivant Denys d'Halicarnasse, le roi avait révoqué les concessions déjà faites, ou revendiqué les terres usurpées, en fixant un délai à ceux qui avaient traité ces possessiones comme de véritables propriétés ex jure Quiritium; il appelait à concourir au partage les plébéiens non encore apportionnés. Cette partie de la réforme de Servius Tullius, qui souleva le plus d'inimitiés de la part des usurpateurs dépossédés, fut aussi le motif qui, d'après Tite-Live, rallia autour de Tarquin le Superbe le sénat et les patriciens 20. L'histoire ne nous apprend rien de ce qu'il fit relativement aux lois agraires de son prédécesseur; peut-être subsistèrent-elles, car on voit que le nouveau roi s'aliéna les patriciens, peut-être pour ne pas avoir tenu ses promesses; il les décima et éloigna le sénat des affaires publiques. Cependant Tite-Live" attribue à Tarquin un partage des biens confisqués sur les principaux citoyens de Gabies entre les pauvres de cette ville alliée; mais sans doute il ne faut voir là qu'un acte particulier de despotisme. II. Des lois agraires sous la république, jusqu'à la mort de Spurius Cassius. L'expulsion des rois, qui substitua à leur autorité celle des consuls et du sénat, paraît avoir été une révolution tout aristocratique ; elle profita très-peu dès l'origine à la plèbe, qui n'obtint ni le jus connubii avec les gentes patriciennes, ni le droit de prendre part comme elles à l'occupation des terres vagues de l'ager publicus, lorsqu'elle était autorisée par édit, moyennant une dîme payée par le possesseur. On crut avoir assez fait pour les plébéiens en leur accordant le pillage des meubles des Tarquins 22; leur domaine privé (ager regius) assez considérable et situé entre la ville et le Tibre, fut consacré à Mars et devint le champ de Mars ; la récolte même fut jetée à l'eau par scrupule religieux. Cependant, suivant Cicéron et Pline E3, les immeubles royaux avaient été rendus publics, ou même partagés ; mais le premier pas.. sage s'entend très-bien 2h de la propriété commune de cette partie de rager publicus dont le peuple conservait l'usage, veluti rentra publicarum vel universitatis 2s. AGR 458 AGR Quant aux sept arpents que Pline prétend avoir été concédés aux plébéiens, aux dépens des Tarquins, ce nouveau partage peut avoir porté, si le fait est exact, sur les domaines royaux les plus éloignés de Rome. Ce serait la première lex agraria républicaine ; mais les autres historiens n'en parlent point, ou même, comme Tite-Live, semblent contredire ce fait extraordinaire d'une loi démocratique émanée de l'initiative patricienne. Un peu plus tard l'histoire nous signale quelques concessions individuelles faites avant Spurius Cassius, à titre de récompense nationale, aux dépens de Payer publicus ; mais aucune lex agraria proprement dite. Ainsi le sénat accorda à Horatius Coclès la surface de terrain qu'un sillon de charrue pourrait entourer en un jour 28. Suivant Denys, Mucius Scaevola aurait obtenu la même étendue de terrain; mais Tite-Live parle seulement des prés nommés depuis Mucia prata 27 situés au delà du Tibre. Ces faits ne font que confirmer par des applications particulières le droit qui appartenait à l'État de transférer la propriété d'une partie de rager, comme d'en faire des concessions révocables. Ici Tite-Live se sert des mots datum et donc dedere, qui impliquent translation de propriété 28 ; de plus il attribue au sénat, alors investi d'une autorité exclusive sur les finances de l'État, la donation faite à Mucius : patres dono dedere. Le sénat avait donc alors la faculté de disposer des terres de l'ager publicus. Néanmoins, malgré l'accroissement de la population plébéienne et les charges que le service militaire non encore soldé faisait peser sur elle, le sénat n'eut pas la sagesse de prévenir ou d'alléger sa misère 20, en l'autorisant à défricher les terres vagues de l'ager publicus; encore moins lui accorda-t-il de nouvelles divisiones. Les patriciens, seuls détenteurs des capitaux, continuèrent d'abuser par l'usure de la misère des petits propriétaires plébéiens [NExum, FOENUS1, et d'occuper exclusivement 30 les agri occupatorii, ou même de s'en attribuer la propriété ainsi que celle des agri vectigales" ; il faut remarquer ensuite que ces possessiônes n'étaient point portées au cens, puisque les détenteurs n'en avaient pas la propriété ex jure Quiritium ; elles ne payaient donc pas le tributum ex censu, mais seulement la redevance ou la dîme, dont les débiteurs puissants trouvaient aisément à s'affranchir 32 minium, CENSUS, TITEUTUM]. Ainsi la plèbe supportait, outre la charge du service militaire, la plus forte part de l'impôt 43 ; de là la nécessité d'emprunts écrasants, l'emprisonnement d'une foule de débiteurs insolvables 3', ou la vente en masse de leurs biens et la saisie de leurs enfants 96, Les guerres contre les Latins, les Herniques et les Èques retardèrent quelque temps l'explosion. Après la création de la dictature, en 501 av. J.-C., la sECEssiO de la plèbe sur l'Aventin ou sur le mont Sacré amena la création du tribunat, en 494, et l'institution des comices par tribus, qui bientôt condamnèrent Coriolan, pour son opposition à une loi 36 tendant à faire vendre à bas prix le blé donné par Gélon, roide Syracuse. Les leges saerae [LEx] avaient concédé aux plébéiens des chefs et des assemblées régulières ; ils devaient profiter de ces moyens légaux pour poursuivre la réforme du système en vigueur relativement au mode d'exploitation de l'ager public-us, l'une des causes de la misère extrême de la masse. Cependant l'initiative à cet égard ne paraît pas être sortie du tribunat ; car Spurius Cassius Viscellinus, l'auteur du projet de loi agraire dont nous allons parler, appartenait à une famille patricienne ; il était même consul en 486 av. J.-C. u, lorsqu'il conçut une loi, qui peut se résumer ainsi : 1° le domaine de l'État ou ager publicus sera limité et mesuré; 2° une partie en sera divisée et assignée aux plébéiens en pleine propriété ; 3° une autre sera régulièrement louée moyennant une redevance dont le montant sera versé à l'aerarium, pour être employé aux dépenses de l'État ; 4° les concessions faites aux patriciens des agri occupatori'i sous la condition de révocabilité seront effectivement révoquées, et les terrains usurpés (possessiones ou agni vectigales), seront revendiqués 38 Spurius Cassius, personnage considérable , qui avait rempli trois fois les fonctions de consul, et triomphé des Sabins, des Latins et des Herniques, après avoir imposé aux derniers une paix dont les clauses furent ratifiées par le sénat°°, proposa dans une rogatio au peuple [LEx] d'attribuer au domaine public romain la moitié des deux tiers du territoire annexé, et l'autre moitié aux Latins, alliés de Rome depuis la bataille de liégille ; puis de revendiquer les autres terres anciennement usurpées sur l'ager publicus, pour les partager entre les plébéiens romains. II paraît que ce projet fut annoncé par le consul, après son triomphe, dans le discours solennel où, selon la coutume, il rendait compte de ses exploits. Il se présenta comme le défenseur des intérêts de la plèbe et lui promit une loi de partage, puis le lendemain il soumit au sénat une proposition 40 à l'effet : 1° de restituer au peuple les sommes par lui payées pour l'achat du blé donné gratuitement à la république par le roi Gélon cinq ans auparavant"; 20 d'opérer un partage de l'ager publicus d'après les bases indiquées plus haut. L'annonce seule de ce projet excita tout d'abord une grande émotion dans la plèbe, et la crainte chez les patriciens de voir une nouvelle retraite (secessio). Les sénateurs n'osèrent pas repousser d'une manière absolue un projet qui tendait à dépouiller une quantité considérable de détenteurs patriciens ou leurs ayants cause, mais qui était conforme aux principes du droit public en vigueur. Le parti nobiliaire eut recours à deux moyens : il proposa premièrement un projet modifié de nature à satisfaire les désirs des plébéiens ; puis il suscita les passions contre Cassius, défectionnaire de son ordre, en l'accusant d'aspirer à la tyrannie, et d'enrichir les alliés latins et berniques aux dépens de ses concitoyens. Cette habile tactique devait réussir. Suivant Denys, le célèbre Appius Claudius, l'un des chefs des patriciens, proposa lui-même au sénat, après la présentation du projet de Cassius, de faire reconnaître et délimiter l'ager publicus par des commissaires chargés d'en revendiquer les portions usurpées, c'est-à-dire non aliénées en vertu d'une loi, et en même temps d'écarter absolument tout partage en pleine propriété de l'ager publicus ; mais de louer pour cinq ans la partie non aliénée, moyennant une redevance dont le produit serait employé à fournir une solde [STIPENDIUM] aux soldats citoyens. Sempronius AGR l'a I GB Atrarinus approuva Appius Claudius d'avoir refusé d'admettre les alliés au partage, mais il pensa qu'il était prudent de garantir au peuple, par un sénatus-consulte, le partage promis par le consul Spurius Cassius. On finit par accorder les deux avis précédents": des décemvirs devaient être nommés pour reconnaître les terres de rager publicus et désigner celles qui seraient partagées en propriété à la plèbe, et celles qui seraient données à bail moyennant une redevance destinée à fournir une solde aux plébéiens. Les terres litigieuses seraient vendues. Quant au del-t, des plébéiens au partage, ce n'était qu'un retour aux p' ttiques de la royauté ; d'ailleurs, une clause du sénatus-consulte en renvoyait l'exécution aux consuls de l'année seivante. Les patriciens se réservaient ainsi le moyen d'annuler l'influence de Cassius, et de rendre au besoin leurs promesses illusoires. La rogatio de Cassius ne put aboutir-crevant les comices centuries 43; elle fut paralysée en effet par l'INTEItCESSIO de l'autre consul, Proculus Virginius ", sous prétexte qu'on ne devait admettre au partage actuel que des citoyens romains ; d'un autre côté, les patriciens étaient parvenus à obtenir des alliés dans le collége des tribuns. L'un proposa de rejeter seulement l'article de la rogatio relatif à l'admission des alliés au partage ; mais ce tempérament fut écarté par Spurius Cassius, soit, dit très-bien M. Macé u, « qu'il eût des engagements formels avec ces peuples, soit plutôt que ce grand citoyen eût déjà conçu ces plans d'unité et d'assimilation des peuples que devaient essayer les Gracques, Scipion l'Émilien, César ; qu'il voulût faire de Rome la capitale, et non la dominatrice des nations italiennes. » Ce refus perdit le réformateur aux yeux de la plèbe égoïste ; elle ajouta foi aux accusations banales d'aspiration à la tyrannie, dirigées contre le transfuge du parti patricien46. Aussi à peine fut-il sorti de charge, qu'on l'accusa devant les comices, et qu'il fut condamné et mis à mort. Le sénat se dispensa, après sa victoire, de faire exécuter par les consuls le sénatus-consulte dont il avait leurré les plébéiens 47 Ceux-ci continuèrent d'être exclus du droit d'occuper les agri occupatorii conquis au prix de leur sang ; rager publicus ne fut ni mesuré ni délimité et demeura en proie aux usurpations des concessionnaires des possessiones; aucune partie n'en fut partagée entre les plébéiens, toujours voués à une profonde misère ; mais depuis lors le projet de lex agraria fut repris plus d'une fois, sur les plaintes de la plèbe, par des tribuns que le sort de Cassius ne découragea pas. III. Des lois agraires jusqu'à celle de Licinius Stolo inclusivement. La loi Licinia, qui par son importance mérite un examen spécial, fut précédée de tentatives de lois agraires (tex Maecilia et Metilia en 417) qui n'aboutirent point et sur lesquelles les historiens ne nous ont laissé que des renseignements incomplets et contradictoires. Nous nous bornerons à indiquer rapidement quelques points principaux en renvoyant, pour plus de détails, aux auteurs spéciaux. Quelques tentatives eurent pour résultat de faire concéder par le sénat des fondations de colonies ; il se débarrassait ainsi de la partie la plus remuante des plébéiensi . La concession d'un STIPENDIUM aux soldats u donna aux plébéiens une apparente satisfaction : c'était un des résultats attendus des lois agraires, qui ordonnaient de consacrer à 1a solde une partie du vectigal ou des dîmes à payer par les concessionnaires de rager publicus; mais le stipendium continua d'être prélevé sur le tributum ex tenu, tandis que les usurpateurs ou fermiers patriciens se dispensaient souvent de payer leurs redevances 50. D'ailleurs tout l'avoir de la plèbe consistait dans l'IEREDIUM et les jugera assignés à diverses époques, en pleine propriété, qui figuraient au cens, sans déduction des dettes 51. L'injustice la plus criante qu'ils subissaient consistait dans le monopole réservé aux patriciens de l'occupation par édit des terres vagues nouvellement conquises 53. La prise de Rome par les Gaulois 53 vint augmenter encore la misère de la plèbe 54, qui fut portée à son dernier terme par les emprunts usuraires 55. Les dettes laissaient les plébéiens, au point de vue politique, entièrement livrés à l'influence de leurs créanciers patriciens 56 Les plébéiens tombèrent dans un abattement qui leur faisait considérer comme inutiles toutes les conquêtes politiques précédemment obtenues, lorsqu'ils furent ranimés en 376 av. J.-C. par les rogations de C. Licinius Stolo 57. Licinius appartenait à une famille plébéienne,mais noble. Un membre de sa famille avait rempli l'année précédente les fonctions de tribun militaire, consulari potestate; mais jusqu'alors la plèbe n'avait pu faire arriver au consulat aucun homme distingué, ce qui eût été le seul moyen d'assurer l'exécution des lois populaires, ou la présentation au sénat de motions favorables18. C'est ce qui explique pourquoi Licinius joignit à sa rogation politique des propositions de nature à toucher directement les intérêts plébéiens; ce son t celles qui se rapportent aux dettes et àl'ayer publicus. Habile et influent par sa richesse, il conçut donc ses trois rogations comme un système complet et indivisible, dont toutes les parties se soutenaient mutuellement, et les présenta de concert avec son gendre L. Sextius Lateranus, également tribun de la plèbe, jeune et plein d'énergie. TiteLive attribue l'initiative du projet à M. F. Ambustus, qui aurait conseillé les deux tribuns. Comme d'habitude, il se borne à une très-brève analyse des trois projets de loi : la première rogation tendait à déduire du capital des dettes les intérets déjà reçus, en répartissant le payement du surplus en trois termes d'un an. Cette mesure, conforme aux idées antiques sur le pouvoir du législateur et inspirée par des circonstances extraordinaires, nous paraît contraire à la foi des contrats et à une saine économie politique; ce fut cependant celle qui souleva le moins d'objections, parce que les autres rogations tendaient à assurer aux créanciers le payement de créances en général réputées mauvaises, ainsi qu'on le verra bientôt. La seconde limitait la possession de rager publicus à cinq cents jugera; la troisième interdisait les comices pour l'élection des tribuns militaires, et les rétablissait pour celle des consuls, dont l'un devait toujours être choisi parmi les plébéiens. C'était leur ouvrir enfin le chemin du gouvernement, en assurant entre les deux ordres l'égalité politique. Tite-Live dit encoreS9 que sept ans après, pour compléter cette loi, une autre rogation fut ajoutée, tendant à la création de decemviri sacris AGR _= 160 AGR faciendis, pris par moitié parmi les plébiens ainsi admis à la connaissance des livres sacrés et rendus capables de prendre les auspices 60. La lutte fut des plus vives et, suivant notre auteur, grâce à la séduction de quelques tribuns, le sénat la fit durer dix ans avant de céder. D'un autre côté, les tribuns Licinius et Sextus, réélus huit fois, mirent obstacle pendant cinq ans à l'élection des magistrats curules. Camille employa vainement la violence pour dissiper le peuple qui allait voter la loi ; il fut obligé d'abdiquer la dictature, sous prétexte d'un vice dans les auspices, pendant le neuvième tribunat de Licinius et de son collègue. Réélus pour la dixième fois, ils repoussèrent habilement une transaction tendant à faire adopter la seule rogation relative aux dettes (la plèbe, en effet, semblait n'attacher d'importance qu'aux lois sur l'usure et les terres) et firent adopter en 386 av, J.-C., d'abord la loi concernant les decemvai•i sacrorum, puis, malgré la nouvelle dictature de Camille, les trois autres rogations dans les comices par tribus. Tel est le résumé rapide du récit de Tite-Cive 61. On a douté si la rogatio de Licinius, de modo agri et pecoris, était relative à Payer publicus, ou bien si elle limitait seulement l'étendue des propriétés privées, Tite-Live, dans sa brève analyse, ayant omis l'épithète publiai, à la différence de toutes les l,'ges agrariae précédentes. De là trois opinions parmi les savants. Puchta6' pense qu'elle n'est relative qu'à la propriété privée; Huschke et Rudorff 66 croient au contraire qu'elle limitait, pour chaque citoyen, l'étendue de terre qu'il pouvait posséder tant de Payer publicus que de l'ager privatus. Nous admettons, avec le plus grand nombre des auteurs", que les lois Liciniennes ne limitaient que la possession de rager publicus. En effet, le silence de TiteLive ou même l'emploi du mot domini dans un passage (VI, 41) peut s'expliquer : le premier, parce que la question ne pouvait souffrir de doute à Rome; le second, par une exagération naturelle dans la bouche d'Appius, défenseur des intérêts des anciens possesseurs de rager publicus. TiteLive lui-même ailleurs emploie fréquemment les mots techniques possidere, possessores, seuls applicables à la situation juridique des détenteurs de rager publicus;d'ailleurs les expressions de injustis possessoribus, de ayro injuria possesso indiquent très-nettement l'usurpation d'un bien de l'État. En outre, Appien' rappelant les dispositions de la loi Licinia, déclare formellement qu'une loi tribunitienne avait limité à 500 jugera ou 126 hectares, l'étendue de la possession individuelle de rager publicus. Ce chiffre de 500 jugera se rapportait donc à rager publicus67. Nous compléterons ce que dit Tite-Live au moyen des renseignements fournis par Appien, qui a analysé la loi Licinienne sans en rappeler les auteurs autrement qu'en les nommant des tribuns 68. Cette loi portait : 1 ° nul ne pourra posséder plus de 500 jugera de terres du domaine; 2° ni envoyer plus de cent têtes de gros bétail et cinq cents de petit sur les pâturages publicsfi9; 3° tout possesseur devra employer pour la surveillance et la direction de la culture un certain nombre d'hommes libres ; 4° la loi devait être garantie par un serment et par une sanction pénale ; 5° les possessions qui excédaient le maximum de la loi devaient être assignées, concédées ou vendues en détail aux pauvres, à des conditions favorables. Il est assez probable que la loi renouvelait en outre l'injonction aux fermiers du domaine d'avoir à payer exactement leurs dîmes ou redevances 70; car c'était un des abus qui avaient donné lieu à de nombreuses réclamations et à des dispositions dans les projets de lois agraires. Ajoutons qu'évidemment, en limitant pour tous le droit d'occupation ex edicto, la loi autorisait les plébéiens à y prendre part, comme le prouvent les faits postérieurs71. La loi Licinia contenait-elle, comme la loi Cassia, des règles relatives à la délimitation de l'ager publicus, à la revendication (publicatio) des domaines anciennement usurpés, et enfin à la vente des parcelles litigieuses ? Rien ne justifie à cet égard les conjectures de Niebuhr; il semble, au contraire, que l'indication du maximum de 500 jugera implique l'idée de ne pas troubler actuellement les anciens possesseurs dans ces limites n. Nous ne pensons pas non plus que le législateur ait garanti, par la création d'une procédure spéciale, la possessio régulière de rager; car il est admis généralement qu'un INTERDICTUSI ne s'accordait qu'au défaut d'une loi créatrice d'action"; l'interdit de loco public() fruendo fut imaginé par le préteur, précisément pour suppléer à l'absence d'une sanction légale. Ajoutons que probablement des commissaires furent nommés pour l'exécution de la loi; mais on manque de renseignements à cet égard. La loi Licinia fut-elle exécutée sérieusement dès le principe? On l'a nié, en se fondant. sur ce que son auteur principal, Licinius Stolo, fut condamné à l'amende neuf ans après, pour avoir éludé la prohibition en émancipant son fils et en lui livrant 500 jugera sur mille que son père avait acquis". II faut remarquer d'abord que cette interprétation peu littérale de la loi prouve que les Romains tenaient à sa stricte exécution", car on aurait pu soutenir que son esprit comme sa lettre tendait surtout à multiplier le nombre des propriétaires plutôt qu'à limiter l'accroissement de la richesse dans une seule COGNATIO. Or un fils émancipé pouvait seul avoir une propriété distincte. Mais le parti patricien sut profiter de cette faute de Licinius, pour lui imputer une manoeuvre frauduleuse. De nombreuses condamnations rappelées ensuite par les historiens démontrent que s'il y eut bien des infractions à la loi, les édiles surent les réprimer, notamment à l'encontre des fermiers de l'ager pecuarius. Tite-Live luimême constate l'efficacité de ces sentences : vinculumque ingens immodicae cupiditati injectum est76. Ces faits prouvent contre le préjugé ordinaire que la loi fut maintenue en vigueur et en partie observée au moins pendant près de deux siècles77. On comprend qu'après la conquête de l'Ita AGR 464 AGTt lie entière, la surveillance de l'édilité fut insuffisante, à cause de l'étendue et de la dispersion des terres de l'ager publicus. Néanmoins, il faut constater avec MM. Dureau de la Malle78 et Macé7 l'incontestable résultat de cette réforme économique. La tempérance et l'amour de l'agriculture brillèrent chez les patriciens eux-mêmes 80. Les plébéiens admis à l'occupation des terres vagues (agri occupatorii) tournèrent en partie leur activité vers le travail agricole ; la classe des hommes libres se maintint dans une certaine mesure, à cause des prescriptions Liciniennes°l; les petits propriétaires, devenus plus nombreux, déployèrent toute leur énergie dans la culture du sol; en outre, ils purent employer les pascua publica à élever leurs bestiaux, au grand profit de l'agriculture82. La population et la richesse se développèrent d'une manière remarquable, au milieu de la tranquillité publique, résultat de l'égalité politique, etRome fut en état de réaliser les prodigieux armements et les conquêtes rapides qui signalèrent les deux siècles suivants, jusqu'à la fin de la seconde guerre punique. Nous passerons sur quelques dispositions agraires insignifiantes, qui ne soulevèrent aucun trouble et furent même généralement prises sur l'initiative du sénat, pour arriver à la réforme des Gracques. IV. Lois agraires des Gracques. La situation qui devait amener une nouvelle législation agraire a été clairement exposée par Appien et par Plutarque 88. Rome et l'Italie, la classe moyenne et l'agriculture étaient menacées d'une ruine complète, et de jour en jour se développait le prolétariat servile, recruté parmi les étrangers et les affranchis. Trois causes principales avaient concouru à cet état de choses périlleux 8" : l'inexécution de la loi Licinia ; les changements apportés par les conquêtes dans l'organisation économique de Rome; la corruption toujours croissante des moeurs. Les riches patriciens ou publicains avaient étendu les limites des concessions ou occupations de l'ager publicus autorisées par les lois Liciniennes, soit en achetant par personnes interposées, soit en s'annexant à force ouverte ou par voie judiciaire les lots des petits cultivateurs voisins. Ceux-ci, éloignés par de longues guerres, avaient laissé chez eux des femmes et des enfants incapables de cultiver ou de défendre leurs petits patrimoines 8". D'un autre côté, ces grands propriétaires employèrent de plus en plus leurs esclaves à la culture, de préférence aux hommes libres que la guerre leur enlevait sans cesse. Le travail servile, moins coûteux, suffisait à l'exploitation de grands pâturages. Peu à peu ce mode de culture se substitua à la culture des céréales, et il arriva que d'énormes quantités de bestiaux gardés par quelques esclaves remplacèrent les hommes libres en Italie; ce qui survécut à la ruine, se réfugia à Rome ou dans les armées. De là une grande quantité de prolétaires ou de soldats sans famille et sans asile, qui n'avaient d'autre métier que la guerre, d'autre ressource que le pillage ou les largesses des chefs. Les colonies décrétées par le sénat et quelques assignations de terres conquises, telles que celle qui fut ordonnée en 252, par la loi Flaminia de agro picente et gallico et par un L sénatus-consulte, en 173 av J.-C., pour le territoire d'une partie de la Ligurie et de la Gaule cisalpine 86 n'avaient été que des palliatifs insuffisants. Certaines ventes de terres publiques (agri quaestorii) avaient été faites pour les besoins du trésor ; d'autres avaient été assignées aux créanciers de l'État [AGEN PuBLPCUS] ; la plupart, envahies par les grands capitalistes; en sorte que la petite propriété s'était singulièrement amoindrie en Italie en même temps que rage,' publicus, au grand détriment de l'État. Le plus souvent les riches trouvaient moyen de ne pas payer leurs dîmes ou redevances au trésor. La deuxième grande cause de la crise sociale actuelle était le résultat de la conquête de la Sicile, de l'Espagne, de l'Afrique et de la Macédoine, qui avait fait entrer une énorme quantité de capital monétaire, fruit de la spoliation, non-seulement dans l'aerarium, mais dans les mains des gouverneurs de provinces, des généraux et de leurs familiers ou même des soldats. L'exploitation des services publics et de la ferme des impôts dans les pays conquis avait également enrichi prodigieusement la classe nouvelle des chevaliers, publicains ou capitalistes. Ce capital ne fut pas employé à développer en halle la culture des terres, parce que le blé des pays conquis y arrivait ou gratuitement S7 à titre d'impôt, ou à très-bas prix. La grande industrie, faute de consommateurs libres, la masse étant esclave, n'était ni assez honorée ni assez développée pour donner un emploi utile à cette richesse subitement déplacée : les uns (les patriciens surtout) l'employèrent en folles dépenses ou s'en servirent pour acheter l'influence politique ; les autres (les chevaliers en général), plus avisés, la placèrent en entreprises [PUSLICANI], en prêts aux hommes politiques, ou en achats de vastes étendues de terres qui furent livrées à l'élevage des bestiaux, à la culture potagère ou à celle de la vigne 88; c'était une nouvelle raison pour que la culture des céréales par les hommes libres fût abandonnée comme onéreuse et peu productive, écrasée qu'elle était par la concurrence des blés étrangers. Au contraire, soit à Rome, soit dans les grandes villes dispersées en Italie, quelques capitalistes habiles entretenaient des ateliers d'esclaves occupés à divers travaux fort appréciés sur le grand marché de Rome, et en même temps des jardins, des parcs, des volières, des piscines, etc. 89. La corruption des moeurs, qui ne contribua pas moins puissamment à précipiter la crise, naquit de la richesse mal acquise. La propriété, dont le symbole à Rome était la lance 90, n'y fut honorée à l'origine que comme le produit de la conquête, c'est-à-dire de la spoliation. Plus tard le travail agricole reprit faveur; mais, à l'époque du triomphe de la république sur ses voisins, la guerre avait enrichi le trésor et les généraux du fruit du travail des autres peuples ; l'administration des nations conquises ne fut que l'exploitation régularisée du droit de la force, devenue permanente entre les mains des gouverneurs, des publicains et des soldats. Les premiers partageaient avec les deux autres classes pour gagner leur appui à Rome et acheter les suffrages complaisants des juges sénateurs, ou des comices de Rome. Malgré les tribunaux permanents [oiaESTIO PERPÉTUA], qu'on imagina à cause de la complicité ou 21 AGR 162AGR de la tolérance du sénat, les provinces continuèrent d'être en proie aux extorsions des gouverneurs et à des dénis de justice encore plus odieux. La pratique et l'exemple de cette manière de s'enrichir ne pouvaient qu'achever de déshonorer le travail et les bonnes moeurs. Une foule de soldats licenciés après quinze ou vingt ans de guerre, vivaient à Rome, faute de trouver ailleurs un asile. L'immense accroissement du nombre des esclaves à Rome acheva l'oeuvre; cette masse d'hommes sans famille et sans moralité se corrompait en corrompant ses maîtres ; elle écrasait le travail libre, et ne conquérait l'affranchissement par toute sorte de services, que pour vivre sans travail aux dépens de Rome ou de ses patrons ". Aussi la grande cité devait-elle finir par être peuplée de nobles et de prolétaires s'efforçant de vivre noblement, c'est-à-dire dans l'oisiveté, aux dépens de la richesse publique, par l'ANivoNA, ou d'Italiens qui sollicitaient leurs suffrages. Les alliés eux-mômes désertaient leurs cités et accouraient à Rome 9'. En résumé, la destruction de la classe moyenne et le développement du prolétariat, sorti de l'esclavage, menaçaient la république de son renversement. Quelques hommes entre les plus éclairés et les plus honnêtes de l'aristocratie romaine avaient senti la nécessité d'une réforme. Scipion Émilien et son maître en politique, Léliusm, avaient conçu des projets, tendant au recouvrement et au partage entre les pauvres des terres usurpées de l'ager publicus ; ils voulaient accomplir en même temps une réforme politique, en s'appuyant sur les Italiens, appelés à l'égalité civile 94, et en établissant un gouvernement mixte, où le consulat représenterait la royauté tempérée 95. Ces hautes pensées ne furent comprises que d'un cercle d'amis; mais la majorité corrompue et imprévoyante ne vit que le danger dont elle était menacée dans sa possession et dans son influence exclusive. En dépit de l'égalité politique obtenue depuis Licinius Stolo, il s'était formé en effet une oligarchie de consulaires, qui perpétuait le pouvoir dans certaines familles (nobilitas), en excluant tous les hommes nouveaux 96. Lélius, consul en 140 av. J.-C., abandonna le plan qu'il avait formé, par crainte de soulever sans résultat une tempête effroyable. Un allié des Scipions, Tiberius Gracchus. poussé par ses anciens maîtres, les philosophes Blosius de Cumes et Diophane de Mitylène, approuvé d'ailleurs par des personnages considérables, le célèbre jurisconsulte M. Scaevola, consul désigné pour l'année 433, le grand pontife Licinius Crassus, et Appius son beau-père, reprit ces projets avec l'énergie de la jeunesse. Parvenu au tribunat, en 621 de Rome ou 133 av. J.-C., T. Gracchus essaya par une rogatio de remettre en vigueur la législation de Licinius Stolo, non abolie mais tombée en désuétude, en y introduisant quelques perfectionnements indiqués par l'expérience. II proposait : 1° de reprendre les biens de l'ager publicus occupés sans autorisation et dont les détenteurs n'avaient jamais payé de redevance. A l'égard des biens loués, cette loi n'était pas nécessaire, et elle ne les touchait pas 07. Tel était le cas du territoire de Capoue (ager carnpanus) qui, réuni au domaine en 211 av. J.-C., avait été d'abord usurpé par les propriétaires voisins, par suite de la négligence des censeurs à le louer, puis repris en vertu d'un sénatus-consulte par le préteur urbain Publius Lentulus, moyennant indemnité pour les possesseurs, et donné à bail, en 166 av. J.-C. 98, conformément à un plébiscite proposé par le tribun Lucretius, en 173. L'ager eampanus ne tomba donc pas sous l'empire de cet article de la loi Sempronia. 2° Chacun des détenteurs des biens usurpés devait avoir néanmoins le droit de conserver 500 jugera, et 250 par chaque fils de famille, sans pouvoir dépasser en tout le maximum de 1,000 jugera. Cet article tranchait d'une manière favorable la question décidée jadis contre Licinius Stolo. 3° Les possesseurs évincés devaient recevoir une indemnité pour la plusvalue 99 créée par leurs constructions et plantations sur le domaine public usurpé. A cet égard, la loi ne faisait que maintenir les précédents. 4° Les portions du domaine de l'État recouvrées, parce qu'elles étaient possédées par un seul détenteur au delà des limites légales, devaient être divisées en lots de 50 jugera et réparties entre les citoyens romains et les alliés italiens. 5° Chaque concessionnaire de lot devait en avoir la jouissance seulement, mais perpétuelle et inaliénable, sous la condition de l'employer à la culture des céréales et de payer une redevance à l'aerarium. Ces deux clauses tendaient à créer une classe de petits cultivateurs, à restreindre l'étendue des latifundia, et à prémunir les possesseurs contre les tentations de dissipation qui devaient les assiéger dès le début. Des triumviri devaient être nommés pour procéder à l'enquête, au recouvrement des terres domaniales, et à la division projetée 100 Les sénateurs et les riches qui possédaient d'immenses pâturages sur l'ager publicus opposèrent la plus vive résistance au projet. Ils eurent l'appui d'un des collègues de Gracchus, M. Octavias, qui opposa son intereessio au vote du plébiscite, et d'un grand nombre de riches habitants des colonies et des municipes, qui avaient leur part dans l'usurpation de l'ager, transmis de main en main depuis de longues années. Ils n'invoquaient pas une prescription impossible, mais, avec plus de raison, le fait d'une ancienne possession, et la perturbation que le projet pouvait amener dans le régime de la propriété en Italie. Suivant le récit de Plutarque qui a peu de probabilité et n'est pas confirmé par Appien, Tiberius, irrité de cette résistance, aurait supprimé les deux clauses du projet favorables aux détenteurs et fait déposer son adversaire Octavius, par un vote populaire contraire à tous les précédents constitutionnels. La loi passa, et Tiberius fut nommé commissaire avec son beau-père Appius et son frère Caius, pour l'exécution de la mesure. Appien ne mentionne aucune modification du projet primitif, dont l'accomplissement rencontra de grandes difficultés, d'abord à cause de l'absence d'une limitation régulière du domaine, puis de la perte ou de la diversité des titres 101, et des réclamations des tiers acquéreurs de bonne foi. Plutarque dit encore 109, et sur ce point il mérite sans doute d'être cru, que Tiberius proposa d'employer le produit de la vente des biens d'Attale III, roi de Pergame, récemment légués au peuple romain, à procurer des instruments de culture et du bétail aux nouveaux concessionnaires. Cette rogation fut attaquée comme inconstitutionnelle, en ce qu'elle tendait à enlever AGR 163 AG.R_ an sénat la haute administration du domaine et de l'aerarium, et on accusa son auteur, comme jadis Cassius et Manlius, d'aspirer à la royauté. Tiberius voulut se rattacher les chevaliers, en leur donnant les tribunaux, les Italiens en leur promettant les droits politiques, et sollicita un second tribunat 703 ; mais il fut massacré dans le forum par une bande de patriciens que conduisait le grand pontife Scipion Nasica 104. Cependant le sénat fut forcé de maintenir la loi et de compléter la commission des triumvirs, chargée de l'exécution. L'examen des titres et la délimitation des terres à recouvrer souleva d'innombrables procès ou recours en garantie. Sous le tribunat de Caius Gracchus, en 122 av. J.-C. ou 632 de Rome, la loi Sempronia fut renouvelée 19s mais les auteurs se taisent ici sur les détails relatifs à son exécution. Sans doute elle fut entravée par les mêmes difficultés; car le nouveau tribun eut recours à une autre série de mesures tendant au même but, comme la fondation de colonies io6 et l'établissement de routes, de ponts, et l'exécution d'autres grands travaux publics; mais il eut le grand tort de régulariser le système corrupteur et détestable, au point de vue économique, des FRUMENTARIAE LEGES, sans doute en sacrifiant tout à l'intérêt politique du moment 107. Le parti opposé à Caius trouva bientôt l'occasion de détruire la popularité du tribun. Pendant qu'il veillait à l'exécution de la loi Rubria, proposée par son collègue Rubrius et qui décidait la fondation d'une colonie à Carthage io6, le sénat fit proposer en 632 de Rome, par M. Liv. Drusus, la création de douze colonies en Italie, et l'affranchissement de toute redevance au profit des concessionnaires de l'ager publicus, qui désormais devaient acquérir la pleine propriété. Cette loi Livia ne fut point exécutée 168, elle n'était faite que pour préparer la chute de Caius, qui fut bientôt abandonné par la plèbe et périt comme avait péri son frère. Les terres déjà partagées soit en Italie, soit dans les colonies nouvelles, demeurèrent entre les mains de leurs possesseurs, comme le prouve la loi vulgairement appelée loi Thoria, dont nous allons parler. Y. Lois agraires postérieures aux Gracques. Lois Boria e t Thoria. La loi Sempronia, renouvelée par Caius Gracchus, resta suspendue en fait pour l'avenir 11o Une série de lois réactionnaires détruisit graduellement tout l'édifice des réformateurs, par des atteintes habilement ménagées, de manière à ne pas exaspérer la plèbe. Une première loi fort dangereuse, mais bien accueillie des détenteurs de terres concédées par la loi Sempronia, les autorisa à aliéner leur droit à la concession. Dès lors les riches commencèrent à reformer leurs vastes domaines 111 L'auteur de cette loi nous est inconnulla mais son existence est confirmée par les fragments de la loi connue sous le nom de loi Thoria 113 , qui présente cette aliénation comme étant alors en usage. Sous l'influence de l'aristocratie parut ensuite un plébiscite attribué au tribun Spurius Borins 110, qui mit fin à toutes recherches de l'ager publicus, et maintint en possession les détenteurs actuels, en leur imposant seulement une redevance dont le produit devait être employé à des distributions en faveur des indigents. C'était une taxe des pauvres destinée à plaire à la plèbe de Rome, qui renonça volontiers, moyennant cette largesse, à tout espoir d'établissement agricole lts. Bientôt, par une troisième loi, la redevance fut supprimée sous prétexte de protéger l'agriculture, et le but poursuivi si habilement par l'aristocratie se trouva pleinement atteint : il ne resta rien au peuple des entreprises des Gracques, et de la loi Sempronia que le maintien des faits accomplis. Cependant Cicéron, dans un passage que les controverses ont rendu célèbre 116, présente Spurius Thorius comme l'auteur d'une loi Thoria, fort obscurémentindiquée par cette allusion : qui agrum publicum vitiosa et inutili lege vectigali levavit. Nous traduisons avec Walter 117 et Zumpt 118 ce passage dans son sens le plus naturel : « Thorius, par une loi vicieuse et inutile, déchargea l'ager publicus de la redevance dont il était grevé. A Ailleurs Cicéron nous apprend que Thorius restreignit par sa loi la faculté d'envoyer les bestiaux en pâture sur l'ager publicus 118. Enfin, il nous est parvenu des fragments 190 d'une loi considérable, vulgairement appelée loi Thoria agraria, se rapportant à l'année 643 de Rome ou 911 av. J.-C. Elle édicte entre autres décisions importantes : 1° l'attribution en pleine propriété, avec soumission au tributum ex censu, des pièces de terre de l'ager publicus aux détenteurs actuels qui, à la suite de la loi Sempronia, les ont conservées ou recouvrées dans les limites fixées par cette loi, ou les ont obtenues à la suite d'une division récemment opérée par les triumvirs agraires; 2° l'autorisation pour les citoyens qui, par contravention à la loi Sempronia, auraient des possessions excédant le maximum, d'occuper trente jugera chacun, à titre de pleine propriété; 3° toutes ces terres devaient désormais être exemptées de vectigal pour le pâturage ou de redevance, puisqu'elles étaient soumises à l'impôt ordinaire du cens; 4° sur ce qui resterait désormais de l'ager publicus, le droit de pâturage était permis désormais gratuitement à tous pour un certain nombre de têtes de bétail. 11 est malaisé de déterminer la date et les rapports de ces diverses lois. Nous ne pouvons ici que renvoyer aux auteurs spéciaux, parmi lesquels Walter 1'-1 et Macé 122 nous paraissent avoir le mieux résolu les difficultés. Tentatives de lois agraires jusqu'à la dictature de Sylla. Malgré la restauration du gouvernement aristocratique, la misère du peuple ou l'ambition personnelle porta quelques tribuns à proposer de nouvelles lois agraires, sur lesquelles nous manquons de documents suffisants. Ainsi Cicéron nous apprend 921 que Marcius Philippus, plus tard consul, proposa une loi qu'il laissa repousser sans trop de résistance. Il avait cependant avancé dans son discours une proposition bien effrayante, en disant qu'il n'y avait pas à Home deux mille citoyens qui eussent un patrimoine. AGR I64 AGR Cette loi Marcia est rapportée par conjecture à l'an 650 de Rome ou 104 av. J.-C. 12". En l'an 100 av. J.-C., le sénat ne faisant rien pour prévenir une crise sociale, un démagogue souillé de crimes, le tribun Apuleius Saturninus'2n, cherchant à s'appuyer de l'épée de Marius, mit en avant un plan vaste et compliqué de loi agraire, connue sous le nom de lex Apulefa : des colonies devaient être fondées en Sicile, en Afrique, en Macédoine et en Achaïe; 2° on devait partager aux cito\ eus le terres reconquises suries Cimbres dans la Gaule cisalpine; 3° chaque vétéran de Marius (levait recevoir un lot de cent jugera (25 hectares), particulièrement en Afrique; !1° l'or rapporté de Toulouse par Cépion devait être au besoin employé à l'achat ou à l'amélioration des terres à distribuer; 5° Marius était chargé de l'exécution de la loi, et il avait en particulier le pouvoir de conférer le droit de cité à trois habitants par colonie 126; 6° enfin les sénateurs étaient tenus de jurer clans les cinq jours l'exécution de la loi, sous peine d'être exclus de leur corps et condamnés à une amende de vingt talents. Cette loi qui consacrait deux spoliations, et violentait les consciences, était digne de son auteur; elle fut adoptée par violence, mais elle excita une lutte sanglante, et Marius fut obligé de faire périr son complice. Sans avoir été abrogée, cette loi resta inexécutée. Marius se contenta de distribuer quatorze jugera (3 hectares 52°1 à ses vétérans tQ7. En 99 av. J.-C., le tribun Titius proposa une loi Jdia 1" qui fut otée, mais Titius fut condamné à l'exil par les juges de l'ordre équestre, sur la poursuite de l'orateur Antoine 70, pour avoir conservé chez lui le portrait de Saturninus, et la loi n'eut pas de suite. Julius Obsequens prétend qu'elle tendait à renouveler le système de T. Gracchus 10. La tentative de Livius M. Drusus, fils de l'ancien adversaire de Caius Gracchus, fut plus sérieuse, car elle émanait d'un bon citoyen et d'un esprit éminent. Préoccupé de la lutte des deux ordres sénatorial et équestre pour la puissance judiciaire, non moins que des intérêts rivaux de la plèbe de Rome et des alliés d'Italie, il élabora, en 91 av. J.-C., un projet de transaction'''. Aux alliés il concédait le droit de cité, aux plébéiens l'exécution des colonies décrétées antérieurement en Sicile et en Italie; le sénat recouvrait, moyennant l'admission de trois cents nouveaux membres pris parmi les principaux chevaliers, le droit de fournir les judices des quaestiones. La loi fut adoptée avec l'appui du sénat, en dépit des résistances des chevaliers et des habitants de l'Ombrie et de l'Étrurie, qui redoutaient les nouvelles colonies. Le sénat chercha à éluder les promesses faites aux alliés et aux plébéiens. Drusus fut assassiné par une main inconnue, et ses lois annulées sous prétexte de vice de forme 12. Cependant le sénat garda le pouvoir judiciaire, mais il vit éclater la guerre sociale, qui aboutit à faire concéder le droit de cité aux Italiens, après avoir couvert l'Italie de sang et de ruines. La loi Plotin, qui accorda le droit de cité aux alliés en 89 av. J.-C., à l'exception des Samnites et des Lucaniens, contenait aussi des dispositions relatives aux droits des Italiens dans les partages des terres'. Après la guerre sociale et la victoire complète de Sylla, nous voyons apparaître un nouveau genre de lois agraires. Des décrets de proscription atteignirent les terres non-seulement des citoyens, mais des cités entières de la Lucanie, du Samnium et de l'Étrurie. Cette spoliation en masse, jointe à l'emploi de quelques restes (le l'uger »;cblicus, permit à la loi Cornelia ou t ((ferla, en 673 de Rome ou 81 av. J.-C., d'organiser des colonies militaires, au profit de vingt-trois légions suivant Appien, de quarante-sept suivant l'E1titoine de Tite-Live 134 Les propriétaires furent dépossédés dans l'intérêt de 100 à 920 nulle vétérans, entre lesquels chaque canton fut divisé, avec défense à chacun d'aliéner son lot. Pour l'ager publicus, les assignations furent faites clans la forme de la loi Semyronia et avec la même prohibition'''. Mais cette réforme sociale opérée par le chef de l'aristocratie ne put réussir, parce qu'elle reposait sur la violence et l'iniquité la plus odieuse. Ces vétérans étaient en général des hommes de pillage et de sang, incapables d'un travail sérieux. La plupart s'endettèrent dans l'oisiveté et ne songèrent qu'à frauder la loi en aliénant leurs possessions; ils fournirent le fonds de l'armée du désordre recrutée par Catilina quelques années après. Lois agraires depuis .Sylla. Il ne l'estait plus à Payer pubiens que le territoire de Campanie, donné à bail depuis longtemps, et des terres conquises dans les provinces. La loi Servi/la, proposée par le tribun Rullus à la fin de 64 av. J.-C., et combattue avec tant d'éloquence par Cicéron, qui la fit rejeter par le peuple, formait un projet vaste et compliqué, tendant à faire des distributions de terre aux prolétaires aux dépens du domaine 1". Pour atteindre ce but, Rullus voulait 1° qu'on opérât la vente du domaine de Campanie' et des terrains qui avaient été conquis depuis, en 88 av J.-C., en Égypte et dans l'île de Chypre ; 2° avec le produit de cette vente, joint aux contributions des cités sujettes, au tribut des provinces conquises en Orient, et au produit du butin (PRAEDA, raanubiae) non encore versé à l'aerarium, l'État devait acquérir des terres en Italie, afin d'y fonder des colonies 138, et en distribuer le sol aux citoyens pauvres ; 3° l'exécution de cette loi devait, d'après le projet, être confiée à des décemvirs, désignés par dix-sept tribus, avec plein pouvoir de choisir les lieux et les terrains à vendre, d'en toucher exclusivement le prix ainsi que le butin et les tributs indiqués ',et de l'employer directement aux achats qu'ils devaient opérer ; 4° le quarantième article de la loi sanctionnait les possessions acquises depuis les proscriptions de Sylla, et en reconnaissait la propriété aux détenteurs 140. Cicéron, d'accord avec le sénat, obtint des comices tribus le rejet de cette loi, en se fondant surtout sur l'énormité et le danger des pouvoirs conférés aux décemvirs 1"1. Cependant, en 60 av. J,-C., Cicéron crut devoir appuyer une loi nouvelle (lex Flavia) présentée par le tribun Flavius, dans l'intérêt des vétérans de Pompée 1L2. Il s'agissait pour AGR 163 _.._ AGR tant de fonder des colonies en Italie, et d'employer les tributs des terres récemment conquises à se procurer le territoire nécessaire à cet effet. Le sénat ayant combattu cette loi comme trop favorable à l'influence de Pompée, Cicéron l'amenda 13 ; mais cette transaction ne réussit point, et la loi Flavia, qui, paraît-il, offrait une grande analogie avec la loi Plotia, fut retirée ou mise en oubli 144. César, plus heureux dans son premier consulat, en 59 av. J.-C., sut réussir à faire adopter la loi agraire qui porte le nom de lex Julia campana, parce qu'elle s'occupait entre autres de rager campanus, dont l'État avait pu conserver jusqu'alors le domaine intactElle fut votée malgré l'énergique opposition de Caton et de Bibulus, collègue de César dans le consulat146,et les sénateurs furent obligés sous peine de PERDoELLIO d'en jurer l'observation "'. Elle ordonnait: 10 l'achat de terres en Italie, au moyen du revenu des nouvelles provinces asiatiques ; 2.0 l'emploi de ces terres, ainsi que de rager campanus, à une distribution de lots aux pères de famille indigents et chargés de trois enfants14' ; 3° une commission de vingt membres devait être chargée de cette opération. Ce système était en partie celui des deux lois précédentes, niais avec un caractère plus pratique; il prévalut grâce à l'influence combinée des triumvirs, et fut réalisé. César en retira tout l'honneur ; il avait voulu se rendre populaire, mais aussi contribuer à relever l'agriculture en Italie, à repeupler les latifundia, en éloignant une partie des prolétaires de Rome, et encourager la famille. La loi dut atteindre en partie son but X49, mais elle venait trop tard pour réparer le mal qu'avaient fait les usurpations, les désordres et les spoliations antérieures Ibo La loi Antonia, qui suivit l'assassinat du dictateur, proposée par L. Antonins, frère d'Antoine, 41 av. J.-C., présente un tout autre caractère; elle tendait à faire concéder des terres aux vétérans de César, aux dépens de ce qui restait de rager publicus en Campanie et en Sicile, mais principalement aux dépens des particuliers ; le frère d'Antoine fut chargé, avec neuf autres, de distribuer le fruit (le ces spoliations'. Cette loi fut abrogée, en 43, par un sénatus-consulte et par la loi Vibia, due au consul Vibius Pansa. Cependant Cicéron, pour rattacher les vétérans au sénat, proposa lui-même une loi agraire en leur faveur m, et accepta les fonctions de décemvir agraire chargé d'établir des colonies pour les soldats d')ctave dans la Gaule cisalpine. Bientôt le second triumvirat de Bologne promit aux soldats, à titre de colonies, dix-huit cités de l'Italie, qui devaient leur être partagées avec les terres et les édifices qui en dépendaient ". . On expropriait au profit des mercenaires les propriétaires de la plus belle partie do l'Italie ; ceux-ci se soulevèrent et furent vaincus avec Lucius Antonius dans la guerre de Pérouse'' ; toutefois la promesse, exécutée en partie, ne fut complétement réalisée qu'après la bataille d'Actium, par la fondation de vingt-huit colonies militaires en Italie 'ss, aux dépens (le la propriété privée; les anciens habitants furent transportés en Épire et en Macédoine. Il n'y eut plus désormais de véritables leges arlrariae, mais des décrets impériaux relatifs aux colonies. Un édit de Domitien mit fin aux dernières questions soulevées au sujet de ce qui restait du domaine de l'État en Italie, en concédant aux possesseurs le droit de s'approprier les subseciva, et en transformant toutes les possessions en pleine propriété 'ss G. HCMDERT.